Wednesday, November 26, 2008

Au coeur de l'economie néolibérale, le modèle walrasien

L’équilibre walrasien mis à rude épreuve (contreinfo.info)


La théorie économique dominante affirme que l’ensemble des forces en jeu dans les activités de la production et de l’échange tendent vers un état stable, celui déterminé par le prix et les quantités qui permettent à l’offre et à la demande de s’équilibrer. Elle considère également que cet état d’équilibre, spontanément atteint par le libre jeu des forces en présence, pour peu que rien ne vienne interférer pour les contrarier, est doué de propriétés remarquables : il est non seulement unique (il n’existe qu’une seule solution au système d’équation) mais aussi optimum (optimum de Pareto, dans le jargon des économistes), en ce sens qu’il n’en existe pas d’autre qui permettrait un meilleur rendement pour l’ensemble des participants.

Ce sont ces deux postulats qui permettent aux économistes de l’école néoclassique de promettre le meilleur des mondes à condition que le marché vive sa vie sans encombre (l’Etat), ni distorsion (les monopoles). Bien sûr, ils reconnaissent l’existence de forces ou de contraintes qui surdéterminent le modèle. Ce sont les externalités, c’est-à-dire le contexte dans lequel celui-ci agira. Mais il est considéré comme donné, suffisamment stable et indépendant du comportement des acteurs pour être ignoré.

Du schéma réducteur au conte de fées

Toute science recourt à ce genre de simplification. Le réel, par nature, excède toute modélisation, et pour cause, puisqu’il les contient. Mais cette insuffisance est admise, c’est la condition de possibilité de la science. De plus, on sait fort bien que la pertinence d’un modèle est non seulement partielle, mais provisoire, en l’attente d’un paradigme plus englobant.

Pourtant, dans le domaine économique, tout se passe comme si cette humilité, cette reconnaissance des limites avait été oubliée.

L’hypothèse de l’équilibre, d’outil analytique partiel, s’est transformée en prédiction normative aux prétentions globales, qui a feint d’oublier que les interactions entre le comportement des acteurs et les externalités étaient fondamentales.

Ce niveau d’analyse a tout simplement été écarté. On s’est contenté de supposer implicitement que les rétroactions seraient positives, et comment pourrait-il en être autrement puisque chaque agent agit au mieux de ses intérêts ? La somme de ces intérêts bien compris pourrait donc être vue comme une sorte de vote positif de la communauté qui globalement, ne saurait viser autre chose que le mieux-être de tous.

Pourtant, on sait bien que des décisions rationnelles au niveau local peuvent créer des conditions globales désastreuses. Un exemple (de circonstance) ? L’évacuation d’un bâtiment où le feu s’est déclaré. Chacun a intérêt à sortir au plus vite, mais si tous se mettent à se ruer sur les issues au lieu de s’y rendre calmement, le drame est certain.

Le paradoxe de l’épargne de Keynes offre un autre exemple de cette contradiction entre local et global. Si la communauté dans son ensemble tente d’augmenter son épargne - comportement supposé bénéfique - elle s’appauvrira. Car l’épargne supplémentaire qui se traduit par une réduction des dépenses, provoquera également une réduction des revenus, donc de la prospérité globale.

Cette absence de la rétroaction entre local et global, fondamentale dans le modèle walrasien, est pourtant connue et reconnue. Les opposants à l’école néoclassique ont pointé depuis longtemps que cette théorie est incapable de rendre compte des crises que l’on observe pourtant - ô combien - dans l’économie réelle.

Comment le pourrait-elle ? Son principe de base consiste à affirmer la « perfection » de l’équilibre qu’elle s’efforce de modéliser. Le premier, Keynes avait remis en cause cette supposition, qui joue un rôle central dans cette théorie. En affirmant que le chômage observé durant la crise des années 30 correspondait à un équilibre de sous emploi, il portait un coup décisif à l’hypothèse de de l’équilibre. Si le système peut se stabiliser dans un état non optimum, l’hypothèse de sa perfection implicite s’écroule.

Keynes avait alors initié la possibilité d’une sorte de révolution Copernicienne. L’équilibre Walrasien pouvant dsormais être considéré comme un simple cas particulier et non plus le paradigme définissant l’horizon de la science économique. Mais l’heure de la revanche allait sonner. La crise stagflationniste des années 70 qui a pris à revers l’école Keynésienne, sera l’occasion pour l’école classique, rebaptisée entre temps néoclassique, de revenir sur le devant de la scène, jusqu’à faire oublier la question pourtant jamais résolue :

L’équilibre optimum était-il la règle ? Ou simplement une possibilité accidentelle et contingente ?

Mais cette « faille, » pour reprendre le mot de Greenspan, du modèle ne l’a pourtant pas empêché de devenir le paradigme justifiant toutes les décisions dans le champ économique prises ces dernières années.

Le consensus de Washington, qui a dicté, via le FMI, ses règles aux pays émergents, l’obligation de la libre concurrence au cœur du traité de Maastricht, l’OMC, partagent tous le même bréviaire. Laissons les forces du marché s’exprimer librement, et par la grâce de la trinité Walras, Arrow et Debreu, le meilleur des mondes de prospérité est à nos portes.

La revanche des externalités

De simplification utile, ce modèle est passé au statut de vérité indépassable. Etablissant le dogme de la performance intrinsèque des marchés, il a servi de légitimation pour réduire à la portion congrue le politique, dont les interactions avec le marché ont été identifiées à des interférences, des rigidités, ne pouvant qu’introduire de l’inefficacité. Avec pour justification cette question, digne d’une scolastique médiévale, mais qui a pourtant paralysé toute pensée : comment pourrait-on améliorer une perfection ?

Il y a une ironie amère dans cette affaire. Les réponses apportées à des questions qui à l’origine relevaient d’un passionnant débat universitaire : l’équilibre optimum est-il la règle ou l’exception, la mise hors champ des externalités est-elle une réduction utile ou aveuglante, ont fourni l’armature idéologique à une offensive politique, pétrie d’intérêts bien compris, rassemblée sous l’oriflamme frappé de l’acronyme TINA : il n’y a pas d’alternative.

Pourtant, sous ce slogan, c’est cet autre message, implicite, qu’il fallait savoir déchiffrer : « il n’y a pas d’externalités ». Rien de ce qui provient de l’extérieur de notre modèle ne peut l’améliorer. Autant dire : vous qui entrez ici, abandonnez toute raison. Et pauvres fous, nous l’avons fait.

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